Un bateau pour l’enfer - Gilbert Sinoué

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Vanille
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Un bateau pour l’enfer - Gilbert Sinoué

Message : # 4005Message non lu Vanille »

Un bateau pour l’enfer - Gilbert Sinoué

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Résumé:

novembre 1938, Goebbels lance dans toute l’Allemagne la tristement célèbre Nuit de Cristal qui résulte au pillage de tous les biens juifs. L’Allemagne est montrée du doigt dans le monde entier. Quelques mois après Adolf Hitler fait un petit geste en permettant à de nombreux juifs de quitter l’Allemagne. 13 mai 1939. A Hambourg, le SS Saint-Louis, paquebot battant pavillon nazi, largue les amarres. A son bord, 937 passagers. Tous sont des Juifs allemands munis de visas. Ils sont tous en partance pour Cuba, d’où ils espèrent rejoindre les Etats-Unis, Cuba étant le seul pays ayant bien voulu accueillier ces centaines de réfugiés. Mais alors que le paquebot s’approche de sa destination, le gouvernement cubain change d’avis et interdit au navire d’accoster. Aucun autre pays ne veut aider. Seule solution possible : retourner en Allemagne.
Commence alors l’effroyable errance du Saint-Louis, alors que s’enclenche en même temps une course diplomatique pour sauver ces pauvres gens.


L'auteur :

Gilbert Sinoué a écrit avec un bateau pour l’enfer un excellent roman / essai historique relatant un fait divers réel plutôt tombé dans l’oubli de nos jours. Difficile en effet de s’intéresser au sort de ces pauvres gens connaissant le sort de leurs semblables peu de temps après les événements décrits ici. Il n’en reste que cet incident est assez impressionnant et fort intéressant d’un point de vue diplomatique. Cette affaire reflète également à quel point aucun pays dans le monde ne voulait finalement aider ces gens. Gilbert Sinoué raconte cette histoire de façon très sobre et avec beaucoup de respect. Les personnages décrits ont réellement existé, sauf deux fictifs servant de narrateurs pour certains événements. Le lecteur ressent parfaitement l’angoisse et le désespoir de ces personnages durant toute l’affaire. Tout le récit est parfaitement documenté, tous les faite et quasi tous les dires de différents personnages sont référencés. Malgré cela Gilbert Sinoué réussit à donner à ce texte la forme d’un roman qui se lit très agréablement.

Mon point de vue :

Un bateau pour l’enfer est un excellent docu-fiction relatant un fait réel oublié de nos jours.


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Un peu d'histoire relatant la véritable traversée

Message : # 4006Message non lu Vanille »

Un bateau pour l’enfer
Gilbert Sinoué

Trois mois après l’avènement de la Bête - un 30 janvier 1933 - on apprenait qu’un premier camp avait été inauguré près de Munich. Le 1° avril fut ordonné le boycott des entreprises et des négoces juifs. Le 7, interdiction leur était faite d’enseigner dans les universités ou de travailler dans les services publics. Le 10 mai 1933, au cours d’un autodafé, on avait brûlé les livres écrits par des juifs, des opposants politiques, ou tout auteur qui ne se situait pas dans la ligne du Parti nazi. Un an se passa sans que de nouveaux préjudices soient infligés. A partir de mai 1934, tous les Juifs furent exclus de l’armée. Le 15 septembre 1935, les lois de Nuremberg privèrent les Juifs de leur citoyenneté allemande. Ils n’avaient plus le droit de se marier avec des Aryens, plus le droit de porter le drapeau allemand. Le 15 novembre, le gouvernement promulgua la première définition officielle du Juif : « Est juif quiconque a deux grands-parents juifs et se déclare membre de la communauté juive. » En avril 1938 fut décrété l’enregistrement obligatoire de tous les biens et propriétés juifs en Allemagne. En août, Adolf Eichmann créait le bureau d’expulsion juif à Vienne afin d’accélérer le processus. Le 5 octobre, à la requête des autorités suisses, l’Allemagne apposait un « J » sur les passeports appartenant aux juifs, et ce, afin de réduire leur émigration vers la Suisse. Le 28 octobre, dix-sept mille juifs polonais vivant en Allemagne étaient expulsés.

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9 novembre 1938. Après l'assassinat à Paris du conseiller d'ambassade von Rath, Goebbels déclencha dans toute l'Allemagne, à titre de " représailles ", la tristement célèbre nuit de Cristal : incendie des synagogues, pillage des maisons juives... Pour les Juifs d’Allemagne, rester c’était subir le pire. Mais partir, était-ce toujours possible ? Depuis l’avènement du national-socialisme, à peine plus de 100 000 Juifs sur les 500 000 recensés avaient pu quitter le pays. En effet, alors que les nations occidentales condamnaient l’attitude de l’Allemagne, elles persistaient à maintenir fermées leurs frontières. Les opinions publiques étaient hostiles à l’afflux de nouveaux arrivants. Roosevelt avait lancé un appel au monde pour que l’on trouve un endroit « où seraient admis des réfugiés juifs en nombre presque illimité ». Chaque dirigeant y était allé de sa solution: Madagascar, l’Ethiopie, la Russie, l’Alaska, l’Angola, le Kenya, le Tanganyika, le Nyassaland… mais pas d’issue concrète. Partir, oui, mais pour aller où, si l’on sait que l’on est indésirable partout ? Les autorités nazies décidèrent d’autoriser les Juifs à quitter « librement » - mais en échange de la confiscation de leurs biens - le territoire allemand. Ce fut dans ce contexte dramatique que débuta l’affaire du SS Saint-Louis entre le 13 novembre 1938 et le 17 juin 1939.


Au cours d’un déjeuner de travail réunissant Goebbels, Heydrich et Goering dans un salon privé de l’hôtel Adlon, à Berlin, il fut décidé - avec la bénédiction du Führer - d’autoriser les Juifs à quitter librement le territoire allemand. En échange de quoi leurs biens seraient naturellement confisqués, ainsi que tous leurs avoirs bancaires. De même, ils s’affranchiraient d’une taxe à hauteur de la « générosité » dont le IIIe Reich faisait preuve à leur égard, payable de préférence en devises étrangères. Au cours de ce même déjeuner, le Dr Goebbels indiqua qu’un premier bateau transportant un millier de passagers prendrait bientôt la mer. Il aurait un double emploi. D’une part, il présenterait au monde la preuve que l’Allemagne ne s’opposait nullement au départ des juifs, qu’elle ne leur voulait aucun mal; de l’autre, ce navire - le Saint-Louis - serait utilisé (ce n’était pas la première fois) pour accomplir une mission d’espionnage. En réalité, cette décision n’était que provisoire et en cachait une autre : bientôt, on trouverait une vraie solution au problème juif. Définitive celle-là…A ce moment, le gouvernement cubain était disposé, moyennant finances, à accueillir tous les réfugiés qui le souhaitent. En réalité, il s’agissait d’un piège : Hitler voulait démontrer qu’aucun de ces pays qui s’entendaient à dénoncer la « barbarie » allemande n’assumerait la responsabilité d’accueillir ces « Juifs ». Lorsque le navire leva l’ancre, à Hambourg, les apparences étaient celles d’une croisière de rêve. Pour les passagers - 200 enfants, 300 femmes, 400 hommes, tous munis de visas -, il s’agissait surtout de la fin d’un cauchemar. Jusqu’à ce que le Saint-Louis abordât le port de La Havane...Cuba, qui devait accueillir ces réfugiés, leur refusa tout accès. Le président Bru obligea le navire à quitter le port :

« New York Times Vendredi 2 juin
CUBA ORDONNE LE DÉPART DES RÉFUGIÉS
Par Ruby Hart Philipps, correspondant à La Havane
Le président Federico Laredo Brù a signé un décret dans lequel il intime l’ordre à la Hamburg American Line de faire le nécessaire pour que le Saint-Louis appareille sans délai avec ses 917 réfugiés d Allemagne. Depuis samedi, ceux-ci sont restés confinés à bord dans l’espoir de pouvoir débarquer à Cuba.
En cas de refus, Ochtorena, le secrétaire au Trésor, fera appel à la marine nationale pour que celle-ci reconduise de force le navire hors des eaux territoriales. Tout marin ayant débarqué illégalement sera arrêté et reconduit sur le bateau. [...]
De nombreux avocats américains et cubains tentent d’obtenir des visas pour différentes îles des Caraïbes dans l’espoir de trouver un havre pour leurs clients.
Laurence Berenson, du Comité de secours juif, qui a rencontré hier le président Brù, a déclaré que le chef de l’exécutif avait exprimé sa profonde sympathie pour les réfugiés, mais qu’il avait refusé de leur accorder l’autorisation d’entrer à Cuba.
Après qu’il eut pris connaissance du décret, Luis Clasing, l’agent de la Hamburg American Line, a, dans un premier temps, menacé de porter l’affaire devant les tribunaux, mais s’est ravisé. [...]
Il semble quasi certain désormais que le Saint-Louis lèvera l’ancre ce matin pour naviguer au-delà de la limite des douze milles et se placera en attente, dans l’espoir que ses passagers obtiendront l’autorisation de débarquer. [...]
Le gouvernement cubain - semble-t-il - serait prêt à autoriser les passagers à entrer à Cuba moyennant une caution de cinq cents dollars par personne. Un montant qui serait remboursé une fois que les réfugiés auraient quitté le pays. [...]
John E. Lewis a télégraphié au colonel Batista le texte suivant : « je vous supplie au nom de l’humanité de permettre aux réfugiés du Saint-Louis et du Flandre, qui sont dans le désespoir, l’accès à votre pays. Si ces réfugiés étaient contraints de retourner en Allemagne, ils seront - sans aucun doute - expédiés dans des camps de concentration, je prends la liberté de m’adresser à vous, sachant les sentiments de compassion que vous éprouvez à l’égard des victimes de la politique nazie. Je veux espérer que vous viendrez en aide à ces victimes. »


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Le navire de luxe se transforma alors en prison sur mer. Le désespoir fut tel qu’il fallut mettre sur pied des patrouilles « anti-suicide ». Le capitaine Schröder, un Allemand de la vieille école qui, malgré les ordres de retourner à Hambourg pour ramener sa « cargaison », essaya de convaincre les gouvernements du monde libre d’accueillir ces réfugiés. Les télégrammes de refus se succédèrent inexorablement, à commencer par celui de Roosevelt. Schröder tenta d’accoster en Floride illégalement, mais le navire fut immédiatement entouré par des garde-côtes ainsi que des avions militaires. On se tourna alors vers le Canada. Immense pays, vastes étendues désertes. Pourquoi refuserait-on l’accès à neuf cent sept émigrants qui, dans leur très grande majorité, possédaient des visas d’entrée aux États-Unis? Dans un bel élan commun, le Premier ministre Mackenzie King et Frederick Blair, le directeur du bureau de l’Immigration, opposèrent un refus catégorique. Frederick Blair, pasteur appartenant à la congrégation baptiste, eut même cette réplique hallucinante. A un journaliste qui lui demandait: « Combien de Juifs seriez-vous disposé à accueillir ? », il répondit: « None is too many. » (Aucun serait de trop). Ayant épuisé toutes les possibilités en Amérique du Nord et en Amérique Latines, les responsables se tournèrent alors vers l’Europe. Le monde entier leur claquait la porte au nez. Indésirables partout... A Berlin, Goebbels exultait : « PERSONNE N'EN VEUT ! »
Commença alors l'effroyable errance du Saint-Louis... Schröder tenta de faire échouer son bateau en Angleterre :

« Ce fut un moment terrible. J’avais tout prévu. A l’heure de la marée basse, je comptais profiter de la nuit pour amener le bateau sur la côte sablonneuse du sud de l’Angleterre. J’avais repéré un endroit précis sur la carte, entre Plymouth et Douvres. L’ingénieur en chef m’a prodigué d’excellents conseils pour mener à bien mon projet. Nous mettrions le feu au paquebot, faisant croire que l’incendie provenait d’une explosion dans la salle des machines. Nous débarquerions ensuite les passagers à l’aide des canots de sauvetage. Le bateau serait ensuite remorqué vers un port de détresse ».

Lorsqu’il conçut ce projet, Schröder avait-il pris vraiment toute la mesure de son acte? Les conséquences, pour lui et les siens, eussent été, n’en doutons pas, extrêmement graves. Le samedi 10 juin, en fin de matinée, alors que le navire se rapprochait de l’Angleterre, une conversation téléphonique déterminante se déroulait entre l’infatigable Morris Troper et Max Gottschalk, le directeur du Joint pour la Belgique. Gottschalk venait de s’entretenir avec le ministre de la Justice de ce pays, Paul-Emile Janson. Ce dernier lui avait promis de défendre la cause du Saint-Louis auprès du Premier ministre, Hubert Pierlot. Celui-ci en référa le jour même au roi Léopold III. Et en moins d’une heure, la décision que l’Amérique et Cuba avaient débattue pendant des jours pour ne pas aboutir, cette décision fut prise : LA BELGIQUE ACCEPTAIT D’ACCUEILLIR DEUX CENT CINQUANTE PASSAGERS SUR LES NEUF CENT SEPT QUI SE TROUVAIENT A BORD! La garantie proposée par Gottschalk aux autorités belges était de la même ampleur que celle qui avait été exigée par le président cubain : cinq cents dollars par personne admise. La Belgique avait ouvert la brèche, il restait à Morris Troper à convaincre la France, les Pays-Bas et l’Angleterre. Le directeur du Joint était confiant. L’exemple belge ne pouvait que stimuler ces pays, sinon en éveillant leur conscience, du moins en les plaçant dans une situation embarrassante.
Le Saint-Louis arriva à l’embouchure de l’estuaire de la Scheldt. Un remorqueur amena Morris Troper sur le pont. Commença alors la délicate opération qui consistait à informer chacun des passagers de la destination qu’on lui avait attribuée :
Belgique : 214
Angleterre : 288
France : 224
Pays-Bas : 181
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Dans le salon du navire prirent place les représentants du Joint de Grande-Bretagne, de France, de Belgique et de Hollande avec Morris Troper à leur tête. A leur droite, le comité d’accueil belge, présidé par Mlle Blitz, elle-même assistée par M. Birnbaum, Mme Hélène Kowarsky et Mlle Toschi. Le comité néerlandais, composé de Mme WysmullerMeyer, de MM. Moser et Dentz. Le comité français, formé de Mme Louise Weiss et du Dr Bernstein. Et enfin, le comité anglais, avec Mlle Margot Hoffman. Se trouvaient là aussi les sept membres qui composaient le comité des passagers dont la mission était de servir d’intermédiaires entre ces officiels et les gens du Saint-Louis. Les formalités se déroulèrent dans une extrême tension. En effet, il était impératif que tout soit réglé avant l’entrée du navire dans le port d’Anvers. Et cette tension était accentuée par la pression exercée par les passagers anxieux de connaître leur destination. Soulignons que près de quatre-vingt-dix pour cent d’entre eux aspiraient à gagner l’Angleterre. Ils estimaient, à juste titre, que la Manche les protégerait. Lorsque tout fut terminé, il resta un ultime problème à résoudre : emmener les passagers soit à Boulogne, soit à Southampton, ou vers les trains à destination de Bruxelles ou d’Amsterdam. Tout se déroula comme prévu…

S'appuyant aussi bien sur des documents d'archives que sur les confidences des survivants, Gilbert Sinoué retrace ici, heure par heure, une épopée dont on pourrait se dire qu'elle n'a pu exister tant elle semble inconcevable. Cette histoire poignante montre combien, trois mois avant l’invasion de la Pologne par les armées de Hitler, les juifs d’Allemagne - et d’Europe - se trouvaient dans une tragique impasse.
Sinoué a inventé un couple d’Allemands juifs pour que les lecteurs ne soient pas pris dans un amas de documents ardus. Quant à ses personnages, il les fait parler aussi vrai que possible. C’est une manière d’aborder l’Histoire. Decaux et Castelot le faisaient aussi. Quand il fait parler Hitler, par exemple, il s’appuie sur des témoignages. Il a essayé d’être le plus scrupuleux possible, ce qui n’est pas toujours facile pour un romancier…
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Le destin de Schröder fut étonnant. Il retourna en Allemagne et, après la guerre, il fut arrêté par les Alliés. Il fut relâché grâce aux témoignages des survivants.
On est choqué de voir qu’aucun pays ne voulut accueillir ces passagers. Près d’un an plus tôt, en juillet 1938, à la Conférence d’Evian, chacun s’était déjà renvoyé le problème, chaque pays avançant ses propres raisons: l’Amérique prétextait ses douze millions de chômeurs pour dissimuler son racisme, la France les réfugiés espagnols, etc…
La Belgique a finalement accepté pour des raisons humanitaires. C’est elle qui a tout déclenché. C’est suite à son accord que les autres pays se sont sentis obligés de faire de même. Elle a joué un rôle magnifique. On ne sait pas précisément ce que les passagers sont devenus. Sur le site du Mémorial de l’Holocauste figure la liste de tous les exilés. Mais beaucoup de femmes se sont mariées, ont changé de nom et on a perdu leurs traces. Près de deux tiers d’entre eux n’ont pas survécu.
Le 11 mars 1993, Yad Vashem honora la mémoire de capitaine en lui accordant le titre de Juste des Nations.
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Message : # 4027Message non lu Ooops »

Merci pour le devoir de mémoire. Je me demande pourquoi les USA ont refusé l'immigration alors qu'ils avaient autorisé, voire incité, celle-ci au début de la montée nazi en Allemagne... A creuser. Les réponses sont peut-être dans ce bouquin.

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Message : # 4028Message non lu Vanille »

je ne l'ai pas encore tout a fait terminé mais en tout cas je le conseille
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